9.12.06

Seuls Two


« Solitude »

Pas moins de trente et une longues années, ou presque, m’auront été nécessaires avant que de trouver une compagne pour partager mon quotidien, mes jours, mes nuits, et mes humeurs (quelles qu’elles soient ^^;). Presque le tiers d’un siècle, donc, pour abandonner celle qui demeurait jusque lors ma plus vieille amie, p’tit bout d’abîme aux appétits invasifs, sombre moire à la fidélité lénifiante… ô ma chère solitude.


Né fils, unique, vite élevé à l’autosatisfaction de n’avoir rien à partager, je m’étais pourtant longtemps accommodé de son invisible présence, ténébreuse muse d’imaginaire, jeux solitaires, esprit débridé, créativité renforcée. Les copinages ne concernaient alors que le milieu scolaire et l’espace vert du lotissement accueillant mes jeunes années : j’oscillais donc aisément entre une petite bande de potes et ma chambre qui, elle, était toute à nous. Des guerres violentes de soldats miniatures aux vaisseaux intersidéralement légoïfiés, du plumage playmobilesque d’indiens plastifiés aux gadgets tant attendus d’un Pif hebdomadaire, des bandes dessinées belgitaloaméricaines aux bibliothèques vertes et romans d’aventures lus en cascade... une simple enfance heureuse, banale, à la solitude jamais regrettée… si bien qu’à aucun moment, de mémoire, désir d’une fratrie ne fut émis. Mes parents, moi, elle… 11 années sagement passées aux mauvais souvenirs ignorés.


Les deux décades suivantes la virent, logiquement, plus gourmande, voire gloutonne, toujours collée à mon être au point de m’en faire oublier quelques mois. Quand l’assise parentale explosa, que l’adulte trop vite devenu dût s’assumer non plus par choix mais par obligation, elle me fit oublier le sérieux du quotidien, me maintenant dans mes vertes années, une fois la porte de chambre refermée. L’extérieur voyait un enfant mûr aux discussions sérieuses de ses cultivés de parents quand l’adolescent conservait avec elle seulement ses jeux infantiles… et quand il fallut partager, l’espace, les parents, une famille qu’il n’avait désiré, le sein thérapeutiquement éloigné, elle se fit plus forte que tous, et dans l’idée de le protéger, tous ses souvenirs avalés… envolés : une année à jamais formatée d’où mon disque dur cérébral n’extrait plus que d’infimes bribes de données mémorielles. Douze mois passés aux pertes… surtout aux profits !
Avec le temps, un foyer plus perturbé finit par se reformer… pas de ceux que l’on choisit, encore, mais nous avions désormais notre vie, rien qu’à nous, dans cette chambre que peu pénétrait (vous raconte pas l’odeur ^^;), et les éclats du quotidien ne troublaient désormais guère notre symbiose. Mon ascendance ne comptait plus tant que cela. Pas vraiment une rébellion à l’âge approprié, juste la fin d’un lien trop fort tiré, quasi-brisé : mes amis étaient ma famille, ma famille n’était plus, qu’elle, et mes amis, encore. (c’est en effet à cet âge que je découvris l’amitié… mais ce sera sûrement le fruit d’un autre sujet… un jour ^^) De cette solitude que je ressentais dans mon être, j’apprit aussi énormément : de cet onanisme de vertus littéraires qui ne vous déçoit jamais, simple, rapide, propre, avec pour seule limite son imagination, premier contact avec la sexualité… de ces nuits à m’endormir en m’imaginant encore, la majorité passée, aux commandes de gigantesques robots vengeurs et justiciers… de ces textes, histoires, récits, aux lignes griffonnées sur d’improbables feuilles d’un loisir nouvellement découvert… de ces conversations épongées lors, dès mon plus jeune âge, engoncé seul dans le moelleux d’un fauteuil, je refusais d’aller me coucher pour écouter les adultes visiteurs de « mes » maisons… juste un esprit libre, commun, confronté à lui-même… et tant de matières pour qu’avec elle, nos liens se resserrent.


L’enfer est tout entier dans ce mot : solitude. Victor Hugo


Je le pensais parfois… De ces années, il y eut aussi son ombrageuse emprise, égoïsme mien, lorsque je choisissais de conjuguer mes loisirs au pluriel : parfois violente, souvent pressante et cruelle dès que ma fratrie s’éloignait ou mes espoirs amoureux s’effondraient, comme s’il fallait me reprocher cette attention coupable. "Je suis là, et jamais je ne t’abandonnerai, moi !" réconfort virant au cauchemar de n’être que la moitié d’un état. La vie passant donc, quelques noms chers disparurent : David, Frédérique, Didier, Marco, Isabelle… ma première aventure, ma (trop) longue affection, mes amis ; Elle, bien sûr, perdura, plus précieuse à mes yeux, semble-t-il, que leur compagnie. Mais ces désillusions éphémères, nécessaires, naturelles, eurent aussi leurs contreparties, agréables entraves, suffisamment solides pour ignorer sa tranchante jalousie… C’est sûrement de Franck, Florent, Puce et Laurent que j’entrevis enfin qu’elle et moi pouvions cohabiter avec leur amitié. Aussi les accepta-t-elle : aussi n’eûmes-nous pas le choix devant tant d’évidence, restant à jamais amis.


Quand la trentaine s’annonça, le routinier labeur étant convenu, l’appartement chèrement acquis, la cabane à jardins s’étant suffisamment emplie, la virginité avalée… de travers…, nous demeurions donc surtout, encore, un petit couple aux habitudes bien ancrées dans une petite prison bien ajustée. Plus vraiment effrayé de son trop plein de présence par une habitude, sûrement néfaste, j’en vins alors à la tromper (enfin ?)… elle était certes toujours ma compagne de lit, de jeux z’et d’aventures (qu’elles soient vidéo ou …éroto), mais mon attention désormais se tournait vers l’hypnotique royaume de la toile. Au gré de mes tapotages de doigts, je découvrais alors un monde nouveau qui s’ouvrait à moi, univers où il n’était nul besoin de créer de véritables liens pour s’acoquiner avec autrui, pour deviser drolatiquement, ou plus sérieusement : je trouvais là une solution à la maxime, prouvant que l’on pouvait vivre seul tout en n’étant pas forcément mal accompagné. Quatre années s’écoulèrent ainsi, durant lesquelles je me félicitais de toutes ces rencontres virtuelles qui, à mon sens, bien qu’agréables et parfois constructives, ne déboucheraient jamais sur autre chose qu’une sympathie bien amène : ma conviction était telle que ma solitude s’en nourrissait, trop heureuse de ne me partager que virtuellement. Le danger était tout autre… mes amis et "Toi" en êtes la preuve vivante. Cela m’amuse d’ailleurs toujours autant de me rappeler ma crasse assurance de l’époque, pas si éloignée que cela, où je jugeais avec dédain ces amitiés et amourettes de fils informatiques tissées : à moi, cela ne m’arriverait jamais.


Aujourd’hui, ma schizophrène a cédé sa place au simple sourire d’un réveil au matin, lors mon regard caresse son visage (pour peu que ma paupière lourde daigne se soulever avant l’arrivée de la douche salvatrice ^^). Entre la peur de la perdre, la peur de la garder, le choix s’est imposé de lui-même, sans qu’il y ait le moindre doute dans mon esprit : la solitude devait s’effacer. Le vide s’est fait chair, sang, chaleur du contact de deux mains se frôlant pour s’assurer, se rassurer de la présence évidente de l’autre. Pour autant, cette vie à deux, si passionnante soit elle (j’allais écrire heureuse mais c’eût à la limite de l’angélisme ^^), ne peut occulter totalement ce qui fut vécu trois décennies durant : on ne vit pas aussi longtemps avec une habitude quasi personnifiée pour l’oublier en quelques années. Il est donc des moments, nécessaires, où celle que je retrouverai, inéluctablement, un jour me manque. Ce besoin d’être seul, éternel insatisfait, outre les absences familiales de mon aimée, se retrouve dans ces instants que je vole lorsque l’opportunité se présente : de la douche songeuse (et donc longue ;-p) à la phase précédant le sommeil, des toilettes bienfaitrices (si, si ^^) z’aux trajets quotidiens, celle qui est restée ma chère solitude n’est jamais bien loin, même si aujourd’hui, les rôles se sont inversés et que moi seul décide de nos échanges. Car si précieuse me fut-elle, si riches soient les enseignements appris à ses côtés, si chaleureux soient les souvenirs partagés, il n’en demeure pas moins que jamais elle n’aura l’importance que revêt à mes yeux la présence de Karo à mes côtés. Cette boule qui se forme au creux de ma gorge lors de ses rares absences m’en est le meilleur des nœuds ornant mon mouchoir cérébral, au cas où l’envie me prendrait un jour de reprendre une existence, certes plus aisée et oisive, où les concessions n’existaient pas, pas plus que les décisions communes, les problèmes à partager, où les matches de foot à ignorer (ce que je souuuuuuuuuuffre ^^; ).


Pour clore, un chrysanthème fera l’affaire. Elle marquera ce verveux verbiage verbeux (beurk) d’un ptit couplet d’une chanson de monsieur Aubert, éclose il y a quelques années de cela dans le fleurissant album qu’est "H". Ce joli texte qui me parlait, me parle et me parlera tant… et qui devrait dès lors vous évoquer, z’à vous aussi, quelques souvenirs sur celle que chaque être humain croise un jour…


Solitude


Je sais que lors du dernier voyage
Tu seras la seule à côté de moi
J’t’aurai aimé comme j’aime la vie
J’n’aurai aimé qu’en compagnie
De ma chère solitude
Faut pas qu’tu deviennes une habitude
J’ai besoin de ta sollicitude

...