25.8.16

Zulu


« …personne ne vous entendra crier. »

And he told us of his life, In the land of submarines.

"Et si on cherchait des trésors au fond de la mer ?" Voilà la phrase sybilline lâchée il y a 3 ans de cela par un jeune nippon à son père en mal d'inspiration ludique. Jun Sasaki, le papa, est déjà le patron/créateur/designer de Oink Games et cherche alors une nouvelle idée de jeu, et son fils de 6 ans vient de poser les bases de ce qui va devenir Kaitei Tanken, Deep Sea Adventure sous nos contrées occidentales.

C'est donc dans la peau, et le néoprène, de quelques plongeurs sans le sou que Deep Sea va vous permettre de vous glisser. Unis par la seule idée que les grands fonds doivent receler fortunes et richesses insoupçonnées, vous, explorateurs, avez réunis un maigre pécule pour vous offrir un joli petit sous-marin bleu, boat sweet boat de location, ainsi qu'une seule et unique réserve d'oxygène, ce qui, avouons-le maintenant, n'était pas l'idée de la décennie lorsqu'il s'agit de damer l'meeple de ses concurrents ! Ne reste plus désormais qu'à faire au mieux pour remonter vos trésors à la surface avant que l'un de vos petits camarades tout de caoutchouc vêtu ne vous aspire la dernière bulle.

En vague résonance, L'horizon déraisonne, Le souffle coupé je comprends.

Dans Deep Sea Adventure, 2 à 6 joueurs vont donc devoir effectuer 3 plongées pour ramener des trésors dont la valeur augmente tout au long des quatre paliers que constituent la ligne de ruines : le premier se compose de jetons ayant une valeur de 0 à 3 points, le second de 4 à 7, puis 8 à 11, pour finir, ô ivresse des profondeurs, de 12 à 15 points, chaque jeton existant en double exemplaire. Chacune de ces 3 manches n'autorise qu'une remontée et se termine lorsque la sacro-sainte bombonne est vide de ses 25 unités d'air. A l'issue de ces sorties, le barboteur le plus riche l'emporte.

Lors d'une plongée, le scaphandrier doit d'abord décider s'il continue de descendre ou s'il préfère amorcer sa remontée puis, il jette 2 dés (faces numérotées de 1 à 3) lui permettant d'avancer d'autant de cases que le résultat obtenu, avec pour particularité qu'une case occupée par un autre plongeur est simplement évitée : une bonne manière d'amalgamer deux dictons pour en conclure qu'"on n'colle pas ses oeufs de crabes dans l'même panier" !

Une fois arrivé à destination, l'homme grenouille peut choisir de ne rien faire d'autre que tailler un filet avec la faune locale en attendant son prochain tour, fouiller furieusement les ruines en s'adjugeant le pion sur lequel il se trouve, sans le retourner et en le remplaçant par un jeton d'emplacement vide ou, s'il se trouve encombré et sur ce même jeton d'emplacement libre, prendre l'option de se délester de l'une de ses précieuses découvertes. Mais l'oxygène dans tout ça ?
Sa consommation ne commence en fait que lorsqu'un joueur décide de ramasser un trésor : dès lors, à son tour, le nombre de pions transportés diminue d'autant la réserve d'air commune, et son jet de mouvement personnel, compliquant la remontée.

En fin de manche, lorsque la dernière bulle a été goulument aspirée, soit votre nageur est sauf et à bord de son frêle esquif, auquel cas il retourne ses pions pour connaître la valeur du magot remonté à la surface, soit il nourrit Dory, Nemo et cie, et son chargement tout entier rejoint les profondeurs de la piste des ruines, avec pour particularité que les pions s'y entassent par trois mais ne comptent que pour un trésor pour la plongée suivante. On enlève ensuite les jetons blancs, et une nouvelle équipe de plongeurs s'y recolle.

Always lost in the sea

Découvert via une news juilletiste, puis une vidéo, du Dr Mops, spécialiste es-titres japonais du site Tric Trac, j'ai tout autant été séduit, sans Jacques, par cette perle ludique que par sa coquille. Car oui, les velléités du créateur de ne pas facilement céder les droits de ses bébés à l'export pour en conserver l'authenticité et le concept initial se comprend d'autant mieux que d'aucun trouvera le game design de Deep Sea pour le moins minimaliste et particulier. A mes yeux d'occidental, il est surtout définitivement japonais !
Classieux et très en phase avec les choix graphiques originaux des productions Oink Games, avoir un exemplaire de Deep Sea Adventure en main, c'est aussi posséder un bel objet. Ainsi, dans une toute petite boîte d'un joli bleu canard... laqué (C'est pour le côté asiatique ? Rudement bien fichue cet comm' !), le matériel est certes sommaire, mais de qualité : avec ses 6 meeples scaphandriers au hublot bien visible, un sous-marin stylisé, des jetons aux formes géométriques simples et au carton épais, le tout se déclinant sur des tons azurés du plus bel effet, l'installation d'une partie est toujours un plaisir pour le joueur néophyte.

Mais qu'en est-il du plaisir ludique ? Pour rester dans le thème, très présent à mesure que la jauge d'oxygène diminue, Deep Sea peut se résumer à 3 inspirations. Une rapide et insouciante, coopérativement anecdotique, où le plongeur et ses "amis" peuvent décider de poursuivre la descente pour aller voir là-bas, tout au fond, si les trésors y sont plus brillants puisqu'il ne s'agit que d'exploration, non !? Une lente et profonde, sérieuse, réfléchie, lorsque l'on goguenarde pour, au bon moment, tourner cas(a)que, se charger de richesse et laisser ses anciens camarades s'enfoncer dans d'insondables abysses, histoire discuter avec ce bon vieux Leonardo (pas la tortue masquée, malgré l'environnement !). Et enfin, une avide et paniquée, souvent l'ultime, à mesure que la coque du submersible s'éloigne au rythme des petites bulles d'air avidement goinfrées par le poids incommensurable que l'avidité sur nos épaules a chargé, et nos détestables concurrents déjà de retour dans leurs confortables cabines.

Sur la mécanique proprement dite, on est en plein dans l'aléatoire du jet de dés, mais il est fortement et bien heureusement influencé du stop ou encore de poursuivre sa descente, de ramasser, voire de déposer ses possessions trésors pour, d'une part, progresser correctement et crever la surface, et de l'autre, bouffer l'oxygène du retardataire, plaisir incommensurable de voir ces petits corps plastifiés s'offrir en Malabar goût viande aux grands blancs de passage. Car oui, le sel de vos larmes souvent se noiera dans celui de l'amère désillusion de l'échec.

Au fil des parties, rapides, le plaisir demeure le même et, côté ambiance, on ne chambre pas que pour la décompression : c'est pourquoi ce petit sous-marin et ses occupants ne m'ont quasiment pas quitté des vacances et m'accompagnent dans la plupart de mes déplacements. Deep Sea Adventure, qui tient dans la main, qui tient dans la main, offre donc une jolie palette d'émotions à la Picasso (plutôt période bleue !) pour peu que vous vous colliez la tête sous l'eau fortement thématique du jeu et que l'incertitude cubique ne soit votre Némésis ludique.

Du coup, et fort logiquement, "dès que le vent soufflera, je repartira"... pour une petite partie !