3.4.16

Des souris et des hommes


« Cette leçon vaut bien un fromage sans doute. »

Le provolo... gue

Si quelqu'un m'avait dit un jour que je me recollerais aux jeux de société 20 ans plus tard... et si l'outrecuidant avait en sus rajouté que je me fendrais parfois de chroniques sur le sujet... nul doute que cet audacieux cuistre aurait pu tout aussi bien au visage me balancer "Et en plus, tu étrenneras ces billets d'humeurs ludiques par une bafouille sur une assemblée de rongeurs de capes et de crocs armés dont l'envie première est de tamponner du fion de cancrelat !"... Mais je n'ai pas d'ami voyant (et c'est bien dommage) et personne ne me tint jamais ses propos quand il aurait pourtant fallu ! Car oui, le sujet de ce premier avis de joueur, tout arbitraire et probablement injuste qu'il sera, porte bien sur un jeu avec des... souris.


C'est un long romano, c'est un bel ossau-iraty.

Mice and Mystics, de Jerry Hawthorne, est un jeu coopératif, de un à quatre joueurs, où ceux-ci incarnent donc, comme le dirait ma cousine Elvira, de mignonnes petites bêbêêêêtes. Mais ici, point de maisons à infester guidé par un flûtiste légèrement zoophile, ou de labyrinthes à explorer pour cause de boulimie fromagère prononcée. Non. Mice and Mystics est un jeu d'exploration à figurines reposant sur le "simple" principe d'un livre de scénarii guidant les minuscules héros dans des intrigues dont chaque fil devra être déroulé pour enfin atteindre le mot "Fin"... ou "A suivre". Car au château du Roi Andon, de sombres forces ont affaibli le souverain. Son fils et ses amis, confrontés au danger, n'ont alors trouvé d'échappatoire qu'en se changeant en souriceaux : las, leurs ennemis se sont "adaptés" pour les poursuivre.


Désormais; c'est au pied d'une table, sous la grille d'un égout ou sur l'édredon d'un lit moelleux que les épreuves se succèdent et que les combats font rage entre le prince Collin, ses compagnons souris, des rats, des araignées, des cafards, et un bon gros... matou qui, exceptionnellement, ne passait pas ce jour devant une caméra alors qu'il se suçait goulûment l'appendice caudal tout en faisant sur une patte le poirier en équilibre sur le rebord d'une fenêtre. C'est dommage, cela nous aurait fait une bien belle vidéo sirupeuse à diffuser sur les réseaux sociaux... mais je m'égare ! *pousse le malotrus dans le vide, un vilain sourire à peine dissimulé*

Je disais donc... Tel un Brisby abreuvé au miruvor, ne vous reste plus qu'à endosser vos habits de mage, vos défroques de voleur ou votre tunique d'archer pour aller prêter mains... ou pattes fortes au prince à la fine moustache, et enfin chasser les puissances noires et poilues du château.

La mâcon... ique

Il va sans dire qu'une fois la boîte à peine entrouverte, vos yeux d'enfants ne cesseront de s'extasier sur la qualité du matériel de ce jeu. Entre les tuiles figurant les intérieurs de la grande demeure, les dés originaux d'arcs, d'étoiles, d'estocs et de boucliers parés, les nombreuses cartes de compétences, d'objets et de rencontres aux choix de couleurs judicieux, les fiches de personnages détaillant par le glaive et l'esprit vos porteuses de ratiches tranchantes, sans oublier les figurines les représentant ainsi que leurs vingtaine de némésis finement détaillées, ce ne sont pas le manuel de règles richement illustré et le livre de contes aussi épais qu'intrigant qui vous feront regretter votre achat. Non, décidemment, Mice and Mystics en a dans l'carton et justifie son tarif, déjà sur ce point !

Une seule solution s'impose alors à vous : sortir de l'imposante souricière tout ce riche contenu et vite vous emparer d'un héros aux feuilles pointues pour enfin ouvrir le recueil d'histoires, et en ses pages commencer une nouvelle aventure.

Car c'est via un scénario que se pose en effet les bases d'une partie : but à atteindre, compte à rebours pour y parvenir, tuiles à utiliser, nombre de chapitres à ne pas dépasser, règles parfois particulières, souris indispensables au récit, et ennemis à même de les occire, vont s'y dévoiler à mesure que les joueurs progressent dans leur périple, tout cela au travers d'explications techniques ou de textes d'ambiance lus et décortiqués par un dévoué lecteur.

Forts de ces éclaircissements, les joueurs choisissent leur personnage parmi l'un de six possibles. Mage, guerrier, voleur, prêtre, archer, ou meneur, chacun possède ses attributs (combat, défense, savoir et déplacement), ses talents uniques, ses compétences et son équipement de départ, fidèles aux canons littéraires et rôlistiques de l'héroic fantasy. Ne reste plus qu'à placer son alter ego sur la première salle, à lire l'introduction mettant en scène tous les protagonistes, et à découvrir via une carte Rencontre quels sont les obstacles à marteler de ses petits poings ou de sa grosse massue pour accéder à la pièce suivante.

Toutes les figurines possèdent une carte d'initiative dont le tirage détermine l'ordre de jeu dès qu’une nouvelle tuile est explorée. Une fois votre tour venu, ou celui de votre adversaire, vous pouvez alors agir : si vos ennemis sont limités à un déplacement et une attaque, vos souris, elles, peuvent délaisser le bourre-museau habituel pour lui préférer un deuxième mouvement, une fouille pour améliorer l'ordinaire et dégotter le bâton à rôtir les méchants harpions qui va bien, la récupération pour oublier quelques statuts négatifs tel l'étourdissement et l'abus de fromage moisi, ou l'ouverture d'une nouvelle salle pleine de mystère pour peu que l'actuelle soit nettoyée de toute présence ennemie. Mais les petiotes ont aussi la capacité d'accomplir des actions libres comme le partage de matériel avec une copine proche, l'équipement d'une nouvelle pièce pimpante et clinquante, ou la montée de niveau.

Outre les cartes (Objets, Rencontres et Initiative), Mice and Mystics se joue aussi aux dés. Le combat, la fouille et l'utilisation de certaines compétences, reposent sur leur utilisation, même si, ici, les chiffres ont laissé place à d'étranges faces. En effet, si lors d'un assaut, on compare le nombre d'épées tirées ou d'arcs tendus de l'assaillant aux boucliers levés du défenseur pour déterminer combien de points de vie ce dernier perd, sur le reste, ce sont les petites étoiles qui signalent la réussite ou l'échec d'une action. Une mécanique simple, efficace, rapide mais aussi sujette à dilemme car tout serait bien trop simple sans le pêché mignon de tout ce petit monde. Le fromaaaaage !

Cette dernière face est la principale source de joie et de frustration du joueur. Lorsque vos preux lancent les dés, les claquos représentent l'expérience nécessaire à la progression de la petite troupe ainsi que la possibilité pour celle-ci d'activer certaines de ses compétences dévastatrices. A contrario, si les calendos apparaissant sur les jets de vos diaboliques rivaux, c'est du temps qui vous échappe... inexorablement... risquant de faire s'écouler le dernier grain du sablier, et de signifier rien moins que la fin de l'aventure. Au bout du bout, quand le dernier ennemi, ou allié d'ailleurs, est tombé, il est temps de faire ses choix. Si l'expérience est jouée comme un one-shot, rien n'empêche de la tenter à nouveau, avec de nouvelles cartes, de nouveaux objets, de nouvelles souris, voire de nouveaux joueurs. On peut aussi choisir d'en découvrir une nouvelle... d'expérience, dans le livret ou sur la toile. Mais il est aussi possible de poursuivre l'histoire : en adoptant cette solution, vous conservez d'un scénario à l'autre vos compétences et un objet unique en plus de votre équipement de départ. Des éléments cruciaux afin de grignoter tout entière la première quête "Chagrin et Souvenir" que nous offre là Jerry Hawthorne.

L'avis...ronnais

Autant le dire de suite, j'ai tout d'abord eu de gros doutes quant au bien fondé de l'achat de ce jeu et, jusqu'à l'ouverture de la boîte, je n'étais pas tout à fait sûr que l'idée soit celle du siècle, pas plus que celle du jour en fait.

Initialement, Marie et moi en cherchions un de type coopératif, jouable à deux, avec de l'expérience et de l'immersion, une proximité avec le jeu de rôle et par conséquent, un poil typé thématiquement. Pas si facile que cela, même en grattant un peu, au milieu... ludique. Je connaissais bien sûr Mice and Mystics de nom et de réputation, mais les souris et l'aspect enfantin de l'univers me bloquaient carrément, voyant assez mal comment marier Bernard et Bianca avec un vieil homme acariâtre qui n'veut pas qu'on emprunte son pont : du coup, j'en étais à lorgner sur du jeu de cartes contenant justement des ptits bonhommes à pieds poilus ou même du gars à la vêture d'ébène et à la voix de rogomme. Ce sont finalement des vidéos puis le conseil d'un vendeur qui me firent craquer : et par une nuit d'automne toulousaine, tandis que le vent d'autan agaçait nos frondaisons, nous sortîmes enfin de chez notre boutiquier préféré, la Communauté du Livarot sous l'bras. Et grand bien nous en fit tant cette boîte et son contenu répondirent à nos nombreuses attentes !

Un jeu coopératif donc ? C'en est indubitablement un. Du plaisir solitaire jusqu'à celui de quatre joueurs, il permet d'y endosser un rôle unique ou multiple selon les besoins du scénario. Il est aussi de ceux dont on doit se méfier : à l'inverse d'un Hanabi qui nous ramène à la substantifique moelle du genre, un participant peut ici facilement prendre le pas sur l'ensemble du groupe et phagocyter paroles et décisions au détriment de ses camarades.

Et le loisir immersif ? Par son matériel mais surtout son écriture et ses phases de narration plongeant immédiatement le joueur dans son... animal, Mice and Mystics excelle dans le domaine. Ainsi, le thème est très présent tout au long des onze histoires se succédant dans cette fresque souristique, et bien vite, dans nos esprits, les murs des profondeurs du château se dressent, les meubles s'élèvent, le petit devient gigantesque et nos rongeurs prennent âme et vie. L'expérience acquise par les mulots moyenâgeux en mode campagne n'y est évidemment qu'un atout de plus. Une vraie belle réussite...
...dès lors, il est vrai, que l'on passe le gros écueil du jeu. Ses règles. Non, en fait, ce ne sont pas ses règles mais leur mise en page qui pose problème. Pourtant simples, elles sont aussi riches et s'étalent au travers des 20 pages du livret, mais se croisant et s'entrecroisant. Une vraie Ratatouille. Du coup, à moins de posséder un esprit analytique de haute volée, ce que visiblement notre couple ne semble avoir en catalogue, il n'est pas rare lors des premières parties de rechercher un point de règles pour savoir comment traverser une rigole, puis d'encore revenir au livret pour se rappeler comment placer les ennemis, comment obtenir les fromages, que faire de son inventaire, etc. au risque d'en perdre le fil, mais surtout l'ambiance. Un conseil. Dans ces cas-là, ne sortez pas de l'aventure ! Improvisez une règle pour achever la partie, mais surtout ne fermez pas votre imaginaire. De notre côté, je pense qu'il aura fallu 7 parties pour enfin maîtriser le petit Livre des Lois. Mais ensuite, quel pied de progresser, entre danger et adversité, sur un système tout de même bien huilé.

Ne reste que le plaisir progressif alors? C'est encore, une réussite de ce point de vue, et pas uniquement pour les niveaux qu'acquièrent peu à peu vos souris si vous choisissez de vous lancer dans la quête entière. Bien sûr, il est toujours agréable d'obtenir une nouvelle compétence ou un nouvel objet pour ressentir la montée en puissance de vos poilus préférés, et cela relève aussi de l'immersion du rôle que de voir son souriceau "grandir". Mais l'aspect de progression vient davantage du sentiment que chaque partie vous oppose de vrais challenges : les méandres du scénario bien sûr, le hasard lié aux tirages de cartes et de dés ensuite, et le temps enfin, ultime outrage du jeu, et rouage le plus complexe à apprivoiser. Votre premier essai scénaristique relève alors de l'adaptation, de la surprise aux larmes parfois... puis, avec les échecs, et ils ne sont pas rares, viennent la réflexion, l'anticipation puis la préparation de votre sortie suivante. Quelles associations de talent feront mouche le plus aisément sur les obstacles du moment ? Si je laisse ce personnage trop souvent de côté, ne sera-t-il pas trop faible quand je voudrais l'utiliser ? Comment contrarier le cours du sable qui s'écoule sur ce récit précis ? De quelle manière accentuer ses succès pas si hasardeux que cela quand on s'y attarde ?... Quelques questions parmi tant d'autres qui font de chaque essai un vrai plaisir et de chaque victoire un réel moment de joie.


Au final, en misant sur l'aventure avec ses explorations et ses tristes rencontres, le fantastique avec sa magie explosive et ses combats haletants, sans oublier l'enfance avec ses contes pour dormir et ses légendes à écrire, le jeu n'oublie pas d'y associer des règles simples et agréables pour plonger un peu plus les joueurs dans un thème riche et prégnant.

Une seule conclusion s'impose. Mice and Mystics, ça rock fort !