13.4.09

Le Masque Arraché


« 13516ème jour »

C’est à la fois peu et beaucoup… trop.

Tant de matins à s’éveiller depuis ce cri premier, pour invariablement dormir, découvrir, manger, pleurer, blesser, marcher, rencontrer, jouer, apprendre, sentir, réfléchir, embrasser, boire, lire, regarder, uriner, rêver, mentir, travailler, nager, parler, attendre, rire, conduire, se laver, partager, se vider, écrire… vivre… aimer et souffrir. Des milliers d’expériences, heureuses, malheureuses, sans intérêt, pour faire de moi l’haï-tre humain que je suis aujourd’hui, avec tout ce que cela peut comporter d’ ironie.

Car que retenir de tout ce temps écoulé, à l’instant où je percutionne ce clavier gras ?

Qu’excepté en de rares occasions, mon sourire est du fard dont on fait les illusions, de celles qui vous trompent vous-même…

Que de tous ceux que j’ai croisé, aimé, détesté, peu m’importe réellement leur bonheur s’il n’est mien ou sien… et que par extension, l’humanité, comment dire, m’indiffère.

Que si mon innocence fut un jour de ce monde, ce n’est ni d’aujourd’hui, ni d’il y a 166 jours qu’elle s’est envolée, mais plutôt de ce que j’avais observé, vécu, supporté jusqu’à ce que ma virginité ne soit plus que réminiscence…

Que cet égoïsme pur qui irrigue mes veines, ce sommeil intellectuel et émotionnel dans lequel je sombre chaque instant davantage, ces saillies verbales que j’inspire/expire, ne sont pas les simples fruits d’un naufrage sentimental, par le passé tant de fois répété, mais plus simplement, ce que je suis, que je ne nie qu’aux autres…

Que la beauté des mots, des paroles, des promesses, ne restera jamais que le fruit et la vérité de l’esprit qui les imagine, les prononce, les chuchote, les écrit, les hurle… simples outils de manipulation à l’utilisation aussi disparate que volage se heurtant parfois aux filets cruels de la réalité…*

Que tout ce à quoi j’aspirais donc, sans jamais y croire, ne se réalisera fort logiquement jamais…

Qu’au final, ma vie, comme tant d’autres, ne valait d’être vécue… Pas pour ça, pour ce passé médiocre, ce présent insignifiant, ce futur incertain et non désiré.

Voilà… c’est cela… j’aurais voulu écrire que le constat de mon existence était que tout ceci n’en valait pas vraiment la peine, qu’au final, dans l’océan des mes jours comptés, les innocents châteaux de sable que j’avais eu tant de mal à bâtir n’avaient jamais eu l’ombre d’une chance face aux lames de tristesse et flots de solitude.
Mais ce ne serait qu’approximations, tournures vomitives et inutilement chargées, mensonges… et amnésie manipulée.

La vérité est qu’Elle était là… le 11097ème jour de ma vie, sur le quai d’une gare… ainsi que les 2253 qui suivirent. 2253… un sourire barre mon visage : celui-là n’est pas feint.

Alors, peu importe que demain, tout s’arrête pour moi, que déjà, mon quotidien crasse reprenne les rênes d’une bien morne destinée, puisque celle-ci est derrière moi. S’il en est qui ne sont pas fait pour être aimés, paraît-il, d’autres, comme moi, ne savent tout simplement pas comment faire… aimer l’autre plus que soi… je ne sais si j’y suis parvenu, probablement pas, ou pas assez. En fait, je l’ignore. De toutes façons, j’ai échoué. Mais au moins aurai-je aimé, comme je le pouvais. J’aurai appris aussi, que je n’étais fait pour cela, que tout ce qui avait précédé cette belle nuit d’août n’avait pas été simples coïncidences, que jamais deux, sans trois, sans quatre, sans cinq, sans six, sans sept…

Mardi, 13517ème jour. Je vais donc me lever de bonne heure, me doucher, ruminer de sombres idées, enfiler mon déguisement, puis aller travailler, attendre… que tout cela s’arrête, bientôt. Et qui sait, si la journée est bonne, peut-être pourrais-je poser le masque quelques secondes et ne plus feindre. Ensuite, je rentrerai, là où je me sens moins mal.



* Cette entrée n'en est-elle pas la meilleure preuve ?